14 février 2024 eric

La perception client d’une enseigne en franchise : standardisation vers le bas ou harmonisation vers le haut ?

SOMMAIRE

En franchise, il est très utile de croiser les regards, les opinions et les points de vue de professionnels disposant de rôles différents et de cartes mentales complémentaires.

Dans ce nouveau format, Axe Réseaux vous propose une interview croisée entre un franchiseur et un consultant, Laurent Delafontaine, sur des sujets intéressant la gestion et l’avenir des réseaux de franchise.

1/ Si je vous parle de perception client, pensez-vous qu’il faille opter pour une standardisation vers le bas ou bien vers une harmonisation vers le haut ?

JFF : En ce qui me concerne je crois davantage à l’harmonisation vers le haut ! Il est clair que de la multiplication des réseaux de franchise pourrait plaider pour la voie inverse, l’excès de simplification. Mais ça tire clairement le produit vers le bas – une chose avec laquelle j’ai du mal – et sans surprise de nombreuses enseignes optent pour le bas de gamme.

On se retrouve alors avec un produit semi-industriel voire vraiment industriel, qui est choisi sur catalogue, et livré par des industriels. Résultat, l’enseigne perd le savoir-faire produit, car lorsqu’on achète à autrui, on finit par ne plus savoir faire soi-même ! Et ça commence dès le sourcing et la maîtrise de ses matières premières.

Chez Boulangeries Feuillette, nous avons pris le parti de créer notre laboratoire de production (5 000 m²) et de livrer nos franchisés de certains produits réclamant une maîtrise technique particulière. Un choix qui réclame de vrais investissements, complexifie mais aussi garantir la maîtrise de la qualité.

A l’inverse lorsque vous allez dans de nombreuses franchises de restauration, vous y retrouvez du ketchup en bidon, de la mayonnaise en seau… Le client y perd en goût à causes des conservateurs. Alors que chez Feuillette pour préserver le goût, tout est fait maison, y compris les sauces. Et pour garantir le niveau de savoir-faire, les tours de main, nous envoyons régulièrement des formateurs (nos « référents métiers ») pour maintenir les équipes de nos franchisés à niveau.

Pour moi, la franchise ce n’est pas nous cacher derrière un nom, mais assumer derrière une politique de production qualitative. Et je suis convaincu que cela a un impact très positif en termes de perception client !

LD :

Pour compléter les propos de Jean-François feuillette, la baguette de pain industrielle à base de mix de farine, qui devient toute molle au bout de quelques heures, va mourir à moyen terme. Cela me rappelle exactement les vins (Kiravi,…) ou les bières (Valstar,…) de mauvaise qualité qui ont fini par disparaître. En 2023, le client en boulangerie souhaite un produit artisanal, avec du goût et au juste prix. C’est rassurant car il en est de même pour la pâtisserie et les chocolats, consommés en moindre quantité moins, mais de meilleure qualité. Il y aura donc toujours un marché de masse qui cherchera un prix sans se soucier de la qualité et un marché moins significatif, mais tout aussi porteur pour les clients avisés.

2/ On sait que la perception client d’une enseigne en franchise peut varier en fonction de plusieurs facteurs. A vos yeux, lesquels affectent le plus directement la perception client d’une enseigne en franchise ?

JFF : Il existe de nombreux leviers pouvant influencer favorablement ou non la perception client vis-à-vis d’une enseigne (qualité, expérience client, communication, conjoncture, technologies…). Pourtant, il n’est pas facile de répondre, tant il y a d’exemples et de contre-exemples. A mon sens, à partir du moment où l’on propose un bon produit, il trouvera toujours sa clientèle.

Mais je peux prendre le contrepied et vous dire que je n’ai pas naturellement envie d’aller déjeuner chez Burger King ou McDonald’s car je ne trouve pas les produits savoureux. C’est plutôt cher pour ce qu’on a dans l’assiette, en apports nutritionnels et en qualité : tout sort de sachets, les frites sont surgelées et les préparations  / transformations ne réclament aucun savoir-faire culinaire sur place.

En attendant, ce sont bien ces industriels du burger qui réalisent les plus gros volumes de vente. Regardez comme les enfants sont sensibles aux enseignes de fast-food, comme ils voient le fait d’aller chez McDo comme une récréation, une récompense. Je veux dire par là que la notion de qualité par exemple, qui me semble un levier tout à fait évident dans la perception client, ne parlera pas à tout le monde de la même manière.

Je reste convaincu que lorsqu’on détient un véritable savoir-faire produit, différenciant et doté d’un bon rapport qualité-prix, ça fonctionne toujours. Chez nous, le goût doit primer sur tout : nos clients doivent trouver chaque produit meilleur et sans nécessairement savoir pourquoi. Le goût est là, point !

LD :

Je note aussi malheureusement que les enseignes les plus présentes en restauration affichent de très mauvais résultats Nutri-score. C’est le cas de Subway, Mc Donald’s, KFC, Burger King, Pizza Hut, Domino’s pizza, qui trustent les premières places du classement mondial et ce tous secteur confondus !!! J’ai parié que ces enseignes allaient subir dans les prochaines années de multiples contentieux outre-Atlantique (class-action) suite aux problèmes d’obésité, comme l’ont été les cigarettiers il y a quelques années pour les cancers dus au tabac.

Mais aujourd’hui, c’est un fait, la majorité des clients regardent un prix et des protéines, particulièrement en période de crise. Pour autant, il existera toujours des enseignes proposant un compromis entre le prix, la qualité et le service, et il existera toujours des clients préférant manger moins mais mieux.

Si l’on regarde la restauration rapide, les enseignes « healthy » ont beaucoup de mal à percer en France. Combien de salade bars face aux concepts de burgers par exemple. Et il est difficile de trouver un juste milieu : prendre une traditionnelle quiche lorraine et un macaron pour déjeuner devient compliqué.

Il n’en reste pas moins que selon moi, la perception client est à prendre de deux façons : si le client connait déjà l’enseigne, il aura un apriori positif, sinon, je doute qu’il souhaite revenir. Je m’intéresse plutôt à l’autre façon, c’est-à-dire lorsqu’il ne connait pas l’enseigne. Il va commencer par regarder le lieu, ce que l’on appelle l’effet « wahoo » : si le décor est recherché et que l’ensemble mobilier, matériel, agencement est distinctif, se détache des autres.

Le client va ensuite analyser l’offre, les produits proposés et à quel prix, pour choisir en conséquence. Chronologiquement, il va ensuite apprécier (ou non) le service, sa rapidité, son efficacité, son amabilité. Enfin si l’on parle de restauration, il va conclure son impression sur les aspects gourmands, gouteux, savoureux et copieux de l’offre choisie.

Je dis souvent que la restauration est l’un des rares secteurs où l’on achète une matière première que l’on transforme et vend sur place en moins de deux heures !

3/ On assiste à une multiplication des réseaux de franchise de boulangerie-pâtisserie plutot low cost ou mass market. Pensez-vous que la standardisation vers le bas soit une fatalité, surtout en cette période où le pouvoir d’achat est chahuté ? A terme, faut-il craindre une invasion du « bas de gamme » ?

JFF : Le phénomène est réel et on doit s’en préoccuper légitimement. Mais je n’y vois pas une fatalité, car j’ai souvent observé qu’un « outsider » – et je me compte parmi eux – pouvait faire bouger les lignes et remettre du niveau là ou y en avait pas.

L’important est de bien définir son marché de référence. Par exemple, j’ai choisi de ne pas m’implanter à Paris car compte tenu de la densité concurrentielle qu’on y trouve en acteurs premium, qu’il s’agisse de boulangerie, de pâtisserie et de snacking salé. Notre concept s’y singulariserait moins.

En revanche dans les agglomérations régionales et les villes secondaires, il a davantage plus de sens, car bien souvent nous faisons face à des acteurs plus low cost qui n’ont pas notre niveau d’exigence produits. En vérité notre vrai concurrent sur nos zones d’implantation est l’artisan local, qui propose des produits d’excellence … sans avoir la capacité à servir autant de clients par jour que nous.

S’agissant de la chute du pouvoir d’achat, on pourrait craindre qu’il fasse déserter les enseignes haut de gamme. Mais si je choisis de vendre une qualité supérieure à seulement quelques centimes de plus, c’est parce que je dispose aussi en amont de leviers pour « tirer mon prix ». En mutualisant nos achats à l’échelle de 60 boulangeries-pâtisseries, je fais jouer à plein les effets volumes. L’un de nos secrets est donc aussi l’excellence dans les processes achat et, j’insiste, sur la proximité envers nos fournisseurs : ils sont les partenaires stratégiques de notre rapport « qualité-prix ».

LD :

Je ne crois pas à une offre essentiellement « low cost », et encore moins à long terme. S’il y a un problème de pouvoir d’achat en France, il y a aussi de plus en plus de gens « aisés » et actifs, qui ne rentrent plus déjeuner chez eux comme dans les années 1960 et qui n’iront jamais chez Subway mais privilégieront une enseigne comme Feuillette. Et je ne vous parle pas des livraisons à domicile et autres solutions pour déjeuner/dîner « comme un chef », sans avoir à sortir une casserole !

4/ Peut-on dire aussi que la perception client s’ « éduque » ?

JFF : Je ne nie pas qu’il y ait toute une sensibilisation, une éducation culinaire à faire chez les plus jeunes. Ils ont beau réclamer McDo, si vous leur donnez l’occasion de vous accompagner à faire le marché, si vous cuisinez avec eux, ce sera tout autre chose.

Je vous livre une anecdote. J’ai choisi d’être pâtissier car petit je voyais ma mère faire des gâteaux avec plaisir et régaler nos invités. C’était une affaire de plaisir. Or il se trouve qu’en semaine, je n’ai pas le temps de cuisiner. En revanche le week-end, je me mets derrière les fourneaux et mon fils m’observe, m’accompagne au marché, etc. Et bien tout récemment, il m’a confié qu’il aimerait devenir cuisinier ! Comme quoi le plaisir est une chose vraiment communicative !

Ainsi j’ai choisi de prendre du plaisir dans mon métier et de le mettre au centre de tout, qu’il s’agisse de choisir des ingrédients de qualité puis de les transformer pour arriver à un produit abouti. A me laisser surprendre aussi selon la fraîcheur et la qualité de ce que je trouve sur le marché par exemple.

Alors oui, le bas de gamme intéressera toujours une frange de consommateurs, très visible en ce moment en raison d’un pouvoir d’achat très chahuté par l’inflation. Mais moi je veux me concentrer sur ceux qui aiment le bon et le beau et veulent en profiter, sans nécessairement se ruiner.

LD :

C’est une évidence, et nous avons tous dans nos souvenirs une saveur pour une odeur ou un goût, la « madeleine de Proust » n’est pas qu’un ouvrage littéraire. Pour autant faut-il avoir des parents ou grands-parents cuisiniers, et qu’ils aient temps et les moyens financiers de nourrir leur famille. Il y a probablement une injustice sociale sur ce point…

5/ Pour finir, que resterait-il à faire pour être encore plus au top en termes de perception client ?

JFF : Il est toujours payant d’interroger ses pratiques pour s’améliorer. En ce qui concerne Boulangerie Feuillette j’essaie de contenir mon prix à un niveau toujours compétitif, pour une qualité supérieure à la concurrence. Nous ne pourrions pas nous permettre un décrochage trop fort de nos prix, sous perdre de perdre notre clientèle.

Pour y parvenir, l’une des clés est de limiter nos gammes. Par exemple sur le snacking salé, si vous fabriquez dix sortes de sandwichs, vous vous dispersez. Je préfère limiter le nombre de mes références, mais qu’elles soient toujours plus fraîches et meilleures en goût, avec des ingrédients de haute qualité.

Après, je reconnais que maintenir ces standards à des coûts de production constants est devenu compliqué. Le coût des matières augmente régulièrement, tout comme le smic horaires, et celui de l’énergie s’est envolé pour des raisons connues de tous.

Enfin et surtout, le coût du crédit devient insupportable. Savez-vous par exemple que pour 1000 000 € empruntés, il représente une charge annuelle de 40 à 60 000 € ? Cela peut mettre en difficulté de nombreux établissements.

LD :

Je rajoute le « faire-savoir » car je vois souvent des enseignes œuvrer à une cuisine de qualité à base de produits sains, mais qui communiquent mal. Par exemple, saviez-vous que toutes les sauces Feuillette, y compris une simple vinaigrette, sont faites quotidiennement sur place ?

Merci à vous deux !